En Belgique, le prix de l’électricité sur le marché de gros – Day Ahead – est déterminé la veille, pour chaque heure du jour qui suit, en fonction des offres (puissance horaire proposée, prix par MWh), empilées en commençant par la moins chère et en allant jusqu’à celle qui permet de couvrir la demande (prévisionnelle).
Ce prix est alors le prix unique (prix de référence) pour tout volume vendu pendant cette heure. Il s’applique tout autant à la partie qui avait fait l’offre la moins disante (et qui engrangera donc le plus de bénéfice) qu’à celle qui a offert le prix de référence (qui ne fera quasiment pas de bénéfice).
Comme, en général, le prix offert par un acteur est égal (ou très légèrement supérieur) à son coût marginal, c’est-à-dire celui qui couvre les coûts variables (mais pas les coûts fixes) et probablement un rien plus, celui qui a offert le prix de référence pourra couvrir ses coûts de carburant, ses coûts d’exploitation (entre autres, le personnel) et les coûts/provisions[i] pour l’entretien des équipements. Probablement lui reste-t-il une toute petite marge.
Evidemment, sous la pression des actionnaires, ou simplement pour pouvoir dégager un bénéfice plus honorable, cet acteur pourrait être tenté d’économiser sur ce qui ne doit pas être dépensé obligatoirement (les provisions d’entretien par exemple) ou qui peut être reporté (l’exécution de tel poste de l’entretien pourrait peut-être attendre encore un peu), en espérant des jours meilleurs où le prix remontera pour permettre de compenser les provisions qui auront fait défaut.
Une telle attitude est bien entendu critiquable, mais n’agissons-nous pas tous de cette façon ? Imaginons que notre auto doive subir un entretien coûteux (comme un gros entretien) et que la situation financière de notre ménage ne soit pas financièrement brillante alors que, par exemple, de nouveaux coûts scolaires (inattendus) se présentent. La pratique courante sera de ne pas faire cet entretien, dans l’immédiat.
Cet immédiat peut d’ailleurs durer, si la situation précaire se prolonge. On utilisera, pendant cette période, l’auto le moins possible et on la sollicitera le moins possible, de façon à la préserver de dégradation. Cependant, un imprévu est vite arrivé. Un accident sur la route qui occasionne un bouchon plus long que prévu, qui incitera à rouler plus vite ou plus dangereusement sur le restant du trajet, ou un enfant qui tombe malade et qu’il faudra conduire aux urgences … Le risque de panne sur l’auto augmente donc très fort dès que les moyens pour l’entretien se réduisent ou sont mangés par d’autres besoins.
Il en va de même pour les centrales de production d’électricité, quelle que soit la technologie de production.
Ce qui signifie que, dans un monde où le prix de vente ne permet d’offrir une marge suffisante, la disponibilité du produit devient de plus en plus sujet à aléas, voire disparaître, du moins pendant des périodes limitées, mais d’autant plus longues et fréquentes que les prix bas persistent.
Sur le graphique, nous voyons bien que lorsqu’une unité n’est plus disponible, elle disparaît, tirant vers la gauche l’utilisation de celles qui se trouvaient à sa droite (et qui sont encore disponibles). Le prix est, à ce moment, déterminé par la (nouvelle) dernière unité à devoir être contractée pour satisfaire la demande.
Ce saut de prix peut être très élevé si la dernière unité indispensable était très puissante (important glissement vers la gauche d’une série d’unités qui se trouvaient fort à droite) ou si la technologie, mise en œuvre dans le type d’unités encore disponibles (activables dans le temps imparti), est fort différente de celle de l’unité défaillante, au moins en terme de coût. C’est par exemple le cas pour les turbo-jets (petites unités capables de démarrer et d’atteindre leur puissance nominale en quelques minutes) qui ont un coût marginal élevé (rendement faible) par rapport aux centrales nucléaires (dont le démarrage dépasse de loin la semaine), mais qui ont un coût marginal très faible (sans entrer dans une polémique sur la gestion à long terme des déchets, ni celui de leur démantèlement).
De plus, le démarrage d’unités, qui ne tournent que quelques heures par an, requiert une préparation dont le coût sera intégralement supporté par la production pendant ce petit nombre d’heures, production pour laquelle ces coûts ont été réalisés. Ils font partie des coûts marginaux. C’est ainsi que le prix du MWh peut monter très très haut pour une heure particulière (sans même prendre en compte un possible effet spéculatif lorsque le marché est dans une situation telle qu’il n’y a pas pratiquement plus de limite).
De façon similaire, lorsque la production renouvelable observée est bien inférieure à ce qui était prévu, tout le graphique est déplacé vers la gauche (ou son 0 est déplacé vers la droite), impliquant directement un certain nombre d’unités, forcément plus chères, qui n’avaient pas été contractées et qui doivent l’être en urgence. Certaines d’entre elles ne pourront même plus démarrer en un temps opportun. Même si la veille leurs productions avaient été offertes, du fait que l’offre n’ait pas été retenue, les préparatifs nécessaires à leurs démarrages n’ont pas été exécutés et devront l’être avant que cette production puisse être mise à disposition. On comprend ainsi facilement pourquoi les prix peuvent bondir en cas de (fort) écart (à la baisse) de la production renouvelable.
Si maintenant la production renouvelable venait à être bien supérieure aux prévisions de la veille, cette production serait excédentaire, les unités contractées la veille étant en production, ou en tous cas devant recevoir la rémunération prévue. Elles peuvent bien sûr être arrêtées (pas instantanément) et recevoir la rémunération. Et cela se passe, pas de problème. Mais une fois la dernière unité non renouvelable contractée mise à l’arrêt, l’excédent (de production renouvelable) ne peut plus être vendu. Le prix du MWh va alors chuter rapidement et même devenir négatif, jusqu’à ce que certains utilisateurs du réseau aient la capacité d’augmenter leur consommation (de façon utile) à un coût attractif (vu les surcoûts engendrés par les changements causés au niveau des processus de fabrication, stockage, … par une augmentation/accélération de la cadence).
Ceux qui connaissent le marché de l’énergie reprocheront peut-être aux explications données jusqu’ici de mélanger le marché Day Ahead, le marché Intraday et le marché des futures. Et ils auront raison, mais une explication correcte et complète nécessiterait un article beaucoup plus long (et moins facile à lire), pour arriver aux mêmes conclusions, les mécanismes et influences mis en avant étant les mêmes sur chacun de ces marchés.
En combinant les différents cas de figure présentés (réduction des marges, augmentation des risques, disponibilité) sur le niveau des prix de l’électricité et leur évolution, on comprend que le prix de base à long terme (future pour une année calendrier, pour un bloc constant de production) va continuer à diminuer (sous l’influence croissante des unités renouvelables), mais parallèlement, le nombre de périodes et la longueur de ces périodes où le prix sera élevé à très élevé, voire prohibitif, va augmenter.
Dans un tel
contexte, le placement de systèmes batterie-chargeur-onduleur permettant de
réguler la demande vis-à-vis du réseau, sans entraver le confort de
l’utilisateur, permettrait de soulager le réseau et d’éviter les consommations
aux moments où l’électricité est (très) chère, ou plutôt ramènerait ce prix à
un niveau très proche de celui des prix à long terme. Les composants pour la réalisation de tels
systèmes sont disponibles aujourd’hui et à un prix abordable si on considère
une production en (grande) série.
[i] L’entretien des équipements se ne faisant pas en continu, mais après une période d’usage déterminé (comme l’entretien périodique d’une auto, tous les 30.000km), ces coûts doivent être provisionné pour chaque MWh produit.